Logogramme de Christian Dotremont remarques lithographiques de Pierre Alechinsky. |
Christian Dotremont dans son atelier par F. Van den Bremt |
Christian Dotremont - DE TOUT INSTANT... |
"Les grandes choses"
Depuis longtemps, depuis qu'il y a des arbres
et même avant,
Depuis qu'il y a le silence,
J'avais envie de dire quelque chose, de le rompre
comme du pain, le silence,
D'être porte-parole porté par la parole
De chanter sans connaître la chanson
de crier sur les toits sans prêter attention à l'écho,
De rire dans les coquillages, de pleurer
dans le gilet des maisons,
Mais il m'est arrivé d'écrire,
Depuis longtemps aussi j'avais envie de voir,
et j'allumais les lampes,
Envie de prendre en flagrant délit
les chambres tapissées de portes,
Le moindre bouton sur le visage du miroir,
Au supplice du soleil les gens qui marchent
comme des acteurs,
Et le paysage qui s'est couché, qui dort,
qui s'étire si loin,
Je regardais comme un détective et découvrais
les crimes, les taches, les empreintes, la victime
incestueusement mêlée au coupable,
Tout avait gueule d'aveu, je marchais
parmi l'évidence en serrant contre moi le secret,
Ne le perdais jamais,
Parmi un grand magasin de choses
exposées à l'habitude,
Et chapardais de quoi vivre, de quoi le nourrir,
le secret
Mais il m'est arrivé de fermer les yeux
De regarder la clef par la serrure,
De voir les fleurs de gel qui poussent sur les volets,
les flammes qui décorent les tapis,
D'ouvrir les volets, de soulever le toit lourd de notions,
De suivre, tout en les dessinant, les traînées des fêtes
qui n'ont pas lieu,
Les débauches légères, fragiles, où tout joue à jurer,
De perdre le fil, d'avancer alors dans les mirages
qui arrêtent le désert,
Parmi les souks où serpentent les aguichantes
marchandes d'incroyable,
De faire oeillade à ce qui n'a ni lieu ni temps,
D'aller ainsi à vau l'eau sous mes propres paupières,
Mais il m'est arrivé de te regarder
Depuis longtemps j'en avais envie,
De garder ce qui est autour avec ce qui est dedans,
De trouver dans le fruit qui est là le goût du fruit que je cherche ici,
D'avancer dans l'ombre même la dague sans garde du regard,
De caresser les angles du soleil,
De faire ce que j'imagine, d'imaginer ce que je fais,
mon amie,
De brûler à la flammèche de la bougie le grand livre
où sont comptées les grandes choses, et les petites,
Toi, tu les laissais faire, elles s'embrassaient avec nous,
Les chambres donnaient sur les souks, tes yeux
donnaient sur les miens,
Les maisons enlevaient leurs toits pour saluer les gens
qui marchent,
Les animaux se répandaient parmi les herbes, et même avant,
Depuis qu'il y a le silence,
J'avais envie de dire quelque chose, de le rompre
comme du pain, le silence,
D'être porte-parole porté par la parole
De chanter sans connaître la chanson
de crier sur les toits sans prêter attention à l'écho,
De rire dans les coquillages, de pleurer
dans le gilet des maisons,
Mais il m'est arrivé d'écrire,
Depuis longtemps aussi j'avais envie de voir,
et j'allumais les lampes,
Envie de prendre en flagrant délit
les chambres tapissées de portes,
Le moindre bouton sur le visage du miroir,
Au supplice du soleil les gens qui marchent
comme des acteurs,
Et le paysage qui s'est couché, qui dort,
qui s'étire si loin,
Je regardais comme un détective et découvrais
les crimes, les taches, les empreintes, la victime
incestueusement mêlée au coupable,
Tout avait gueule d'aveu, je marchais
parmi l'évidence en serrant contre moi le secret,
Ne le perdais jamais,
Parmi un grand magasin de choses
exposées à l'habitude,
Et chapardais de quoi vivre, de quoi le nourrir,
le secret
Mais il m'est arrivé de fermer les yeux
De regarder la clef par la serrure,
De voir les fleurs de gel qui poussent sur les volets,
les flammes qui décorent les tapis,
D'ouvrir les volets, de soulever le toit lourd de notions,
De suivre, tout en les dessinant, les traînées des fêtes
qui n'ont pas lieu,
Les débauches légères, fragiles, où tout joue à jurer,
De perdre le fil, d'avancer alors dans les mirages
qui arrêtent le désert,
Parmi les souks où serpentent les aguichantes
marchandes d'incroyable,
De faire oeillade à ce qui n'a ni lieu ni temps,
D'aller ainsi à vau l'eau sous mes propres paupières,
Mais il m'est arrivé de te regarder
Depuis longtemps j'en avais envie,
De garder ce qui est autour avec ce qui est dedans,
De trouver dans le fruit qui est là le goût du fruit que je cherche ici,
D'avancer dans l'ombre même la dague sans garde du regard,
De caresser les angles du soleil,
De faire ce que j'imagine, d'imaginer ce que je fais,
mon amie,
De brûler à la flammèche de la bougie le grand livre
où sont comptées les grandes choses, et les petites,
Toi, tu les laissais faire, elles s'embrassaient avec nous,
Les chambres donnaient sur les souks, tes yeux
donnaient sur les miens,
Les maisons enlevaient leurs toits pour saluer les gens
qui marchent,
à pas de louve saoule,
Les elfes lutinaient les gnomes, les arbres dormaient
debout dans la mousse,
Dans la cour de récréation le moindre mot
faisait boule de neige,
Il n'y avait plus de buvard sur les pupitres,
plus de pupitres,
Il y avait dans le ciel le brouillon des nuages,
le ciel,
L'orage caressait les chardons, les rivières
trouvaient de l'or,
Le temps se reposait sur l'oreiller, le secret
se regardait dans le miroir,
Mais il m'est arrivé de ne plus te voir
Et de garder les yeux ouverts
sur les grandes choses et les petites,
Et de crier sur les toits pour que l'écho
rompe le silence,
Et d'avoir envie.
Du point de vue de l'histoire de l'art Christian Dotremont est le cofondateur de COBRA, un mouvement artistique né en 1948 et dissout en 1951. Il est l'un de ses principaux théoriciens et le rédacteur en chef de la revue du groupe. Une courte existence de trois années pour ce laboratoire de la création dont sortiront les oeuvres de grands peintres Karel Appel , Asger Jorn, Corneille , Pierre Alechinsky, Jean-Michel Atlan , mais aussi celles de Pol Bury , Henry Heerup , Carl-Henning Pedersen , Jacques Doucet, Joseph Noiret, Constant, Egill Jacobsen. Animateur, théoricien, commentateur du mouvement, Christian Dotremont en est aussi le secrétaire général.
"Pour Dotremont, la création doit jaillir de la vie. Elle répond à une mission révolutionnaire : accorder l'avenir aux couleurs du désir... L'enthousiasme est de génération." (Michel Draguet) . Les désillusions aussi. Dès 1950, il rompt avec le communisme et se rapproche de la poétique libertaire.
Christian Dotremont est malade. Mais, il a su maintenir le lien qui unit les membres du groupe. Ainsi nourri de ses dialogues avec les peintres, il établit un processus de régénéressence qui passe par l'image. Il entreprend de mener la poésie vers d'autres formes. "Il la dompte en gestuel qui griffe la toile, balafre le papier. Il s'y soumet aussi en calligraphe sensible qui pressent dans la maîtrise de la main un temps d'harmonie solaire." (Michel Draguet)
Sa quête le conduit en Laponie durant l'hiver 1956-1957. La neige lui offre sa page blanche. La main est libre. Le geste se déploie. Le mot trouve sa plénitude. Le logogramme est né. Que la fête commence.
L'écriture révèle « son cri » et/ou « son chant » . Le poème se regarde. Tantôt, Dotremont propose son texte en clair sous le logogramme tantôt celui ci est absent, ceux sont les logogrammes dits "incertains".
Catherine Plassart
Art Point France Info 30/06/2008
La plastique de l’écriture a été mise en évidence par le poète Christian Dotremont (1922-1979), en accord parfait avec l’esprit du groupement d’artistes Cobra (1948-1951). Les expérimentations de plasticiens, comme Pablo Picasso qui « dessine les lettres d’un manuscrit » ou de poètes, comme Paul Éluard qui « écrivent des sortes de dessins » — et l’on songe aussi aux calligrammes de Guillaume Apollinaire — amènent Dotremont à concevoir, dans les années 1949-51, une forme de calligraphie où les tracés se libèrent des contraintes du signifiant, qui vire résolument en direction du pur dessin, mais en conservant le côté discursif et linéaire de l’écriture. Le résultat est une sorte de pastiche des graphies orientales, pour rédiger, dans une forme éclatée, au lyrisme débridé, des poèmes éventuellement transcrits en légende — en traduction, dirait-on —, d’une belle écriture latine d’écolier appliqué. Le contraste est saisissant, entre le texte libéré du carcan de sa forme et cette transposition calligraphiée au sens classique. À moins que la « traduction » ne fonctionne dans l’autre sens. Il faut un effort particulier pour retrouver, dans les cabrioles de ces dessins-mots, le reflet distordu, le vague vestige graphique de l’écriture normalisée. (…)
L’éditeur bruxellois Didier Devillez vient de publier, dans sa collection Fac-Similé, reprenant fidèlement l’édition originale (Ziggurat Antwerpen, 1978), un long, un seul logogramme en 25 pages, précédé d’une introduction de Freddy de Vree et d’un texte signé Dotremont en 1977. Son titre : J’écris, donc je crée.
Luc Deschamps
(L’Écho, 24 juin 2002)
à visiter: http://www.artpointfrance.org/Diffusion/dotremont.htm
http://francoisquinqua.skynetblogs.be/
Christian Dotremont par Serge Vandercam, Ostend, 1959 |
ALECHINSKY Pierre, Portrait Christian Dotremont, Phototypie, Arches France |
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