samedi 28 mai 2011

Laure (Colette Peignot)


« Jamais personne ne me parut comme elle intraitable et pure, ni plus décidément souveraine. » Georges Bataille.
Colette Peignot est née le 8 octobre 1903 à Meudon. Elle est surnommée Laure, pseudonyme choisi par Georges Bataille, mais est également connue sous le nom de plume Claude Araxe. Elle laisse derrière elle une série de manuscrits poétiques, enflammés et torturés, dont la fameuse "Histoire d'une petite fille" (1943).
Issue d’une famille d'industriels, de la grande bourgeoisie catholique française, elle est très affectée par la mort de son père, Georges Peignot, illustre fondeur de caractères, qui a donné ses lettres de noblesse à la typographie française au sein de la Fonderie Deberny et Peignot, et de ses trois oncles morts pendant la Première Guerre Mondiale. Fâchée avec une mère sévère (qui avait préféré croire la parole d'un prêtre abuseur plutôt que la sienne), elle a vécu une vie en rupture de ban. De santé fragile, constamment sous médication, elle frôle la mort en 1917. Atteinte aux poumons, elle conservera cette santé fragile durant de longues périodes de son existence. En 1926, Colette Peignot croise la route de Jean Bernier, journaliste, et fréquente alors les milieux intellectuels et artistiques grâce à son frère Charles, fondateur des Nouvelles littéraires et d’Arts et métiers graphiques. Cette rencontre amena la jeune femme à se radicaliser et à politiser sa révolte contre son milieu familial. 
Elle fut également la compagne de Boris Souvarine quelques années plus tard, puis celle de Georges Bataille jusqu’à sa mort prématurée en 1938. Sa relation "intense" avec Georges Bataille, alimentée par les perversions de ce dernier, se révéla destructrice. Colette Peignot vécut le plus souvent seule. Elle fut l’égérie de l’extrême gauche de l’entre-deux-guerres. Ses textes sont de différentes natures : poèmes, récits autobiographiques, journal, critique politique, convictions mystiques, reposant sur un souci de vérité de communication. Elle aida financièrement Souvarine, Leiris et Bataille à fonder diverses revues littéraires et poétiques. Elle travaille même au courrier des lecteurs du Journal de Mickey. Ce n'est que quelque trente ans plus tard que paraissent enfin les "Écrits de Laure", chez Jean-Jacques Pauvert, dans la collection «Change errant». Cette édition est l'aboutissement d'une longue querelle opposant dans un climat passionnel  les tenants de la législation sur l'héritage de la propriété littéraire, du droit moral, voire du droit de la censure, en l'occurrence, Charles Peignot, le frère et un certain nombre d'écrivains (et non des moindres dont Simone de Beauvoir, Marguerite Duras, Edmond Jabès, Hélène Cixous, Michel Foucault, etc.) jugeant cette mesure répressive et inacceptable, et se déclarant solidaires de l'édition sauvage des Écrits...La critique unanime salue avec ferveur les « Écrits de Laure » que Michel Leiris, l'ami et le gardien de la mémoire, considère comme un «être dont ceux qui l'ont approché n'ignorent pas combien inentamable était son exigence de hauteur et violente sa rébellion contre les normes à quoi souscrivent la plupart».Ce n'est que récemment que les lettres-textes formant le contenu du présent volume "Laure, une rupture" ont été retrouvées. Elles datent de 1934, année charnière dans la vie de Laure, qui s'apprête à quitter Boris Souvarine, fondateur de La Critique sociale, pour rejoindre Georges Bataille... Laure, pour l'état civil Colette Peignot, disparaît le 7 novembre 1938  à Saint-Germain-en-Laye. L'année suivante, Michel Leiris et Georges Bataille publient hors commerce, à quelque deux cents exemplaires, les "Écrits de Laure". Ses œuvres ont été publiées de manière posthume, contre la volonté de son frère, Charles Peignot, par son neveu, le poète Jérôme Peignot (pour qui elle aura été une « mère diagonale »).Elle finit sa vie dans une indigence complète, médicamentée à l'extrême, et meurt à trente-cinq ans de la tuberculose, dans une chambre triste et austère chez Georges Bataille.

Laure : Ecrits, fragments, lettres de Colette PEIGNOT
… Je n’habitais pas la vie mais la mort.
Aussi loin que je me souvienne
les cadavres se dressaient tout droit devant moi :
« Tu as beau te détourner, te cacher, renier…                     
Tu es bien de la famille et tu seras des nôtres ce soir.
Ils discouraient, tendres et sardoniques,
ou bien
À l’image de ce christ, l’éternel humilié,
l’insane bourreau,
ils me tendaient les bras.
De l’occident à l’orient
de pays en pays                                                                 
de ville en ville
je marchais entre les tombes.
Bientôt le sol me manqua.
Qu’il fût herbu ou pavé,
je flottais,
suspendue entre ciel et terre,                                        
entre plafond et plancher.
Mes yeux, douloureux et renversés,
présentaient au monde leurs lobes fibreux,
mes mains, crochets et mutilés,
transportaient un héritage insensé.
Je chevauchais les nuages
avec des airs de folle échevelée
ou de mendiante d’amitié.
Me sentant quelque peu monstre,
je ne reconnaissais plus les humains
que pourtant j’aimais bien.
On me vit atterrir
au ciel de Diorama
où glacée jusqu’aux os
je me pétrifiai lentement
jusqu’à devenir
un parfait accessoire de décor. 


Entretien avec Jérôme Peignot en 2004:  http://remue.net/spip.php?article400




lundi 23 mai 2011

COMTE DE TROMELIN


source: "Art spirite, médiumnique, visionnaire, message d'outre-monde" aux éditions "Hoëbeke".
Rédigé sous la direction de Martine Lusardy, directeur de la Halle Saint-Pierre du 13 septembre 1999 au 27 février 2000


Le Comte de Tromelin est né en 1850.
C’est en 1903, dans sa cinquante-troisième année, que le comte de Tromelin, savant mathématicien et lauréat de l’institut, signe un pacte avec les esprits et se voue entièrement au spiritisme. Plus de deux ans auparavant, il a commencé à exécuter des dessins qu’il qualifie de « semi-médianiques ». Ces compositions extrêmement curieuses ont été obtenues la nuit, rapporte le docteur Marie, sur un tableau que le comte de Tromelin tenait placé près de son lit pour les calculs qu’il faisait en cas d’insomnies.



Privé de lumière, il fit une fois, en état de demi-sommeil, un barbouillage dans lequel, le lendemain, il chercha à retrouver les notes prises. A sa stupéfaction, il en vint à découvrir des lignes qu’il dégagea en les soulignant et qui prirent avec un peu d’entraînement une tournure de « grouillement satanique ». Puis il passa à d’autres méthodes. Il s’exerce à faire surgir de la texture d’une feuille de papier, dont il observe par transparence les nuances, des dessins au crayon, grouillant de personnages fantastiques et de monstres : « Ce que l’on voit sortir du papier est tellement étonnant qu’on ne peut plus quitter cette occupation, lorsqu’on a trouvé la bonne méthode et qu’on commence à voir […] mais je reconnais que pour faire de jolies choses, il faut être un peu artiste. En effet, il sort une foule de figures et de personnages et c’est à vous de choisir ceux qui vous conviennent le mieux. Avec ma grande habitude, je vois de suite ce qu’un non-initié ne voit pas… » 



Un jour de 1903, il finit par se convaincre que son désir impérieux de dessiner obéit à des forces surnaturelles et qu’il ne peut être le véritable auteur de ses dessins : « […] Lorsqu’un jour, en bas d’un dessin que je venais d’achever, je lus assez nettement : Pacte entre tel  Esprit et de Tromelin, par lequel il s’engage à leur jurer fidélité, etc., je fus étonné, et comme cet écrit m’engageait à signer, je le fis par plaisanterie, et aussi parce qu’en signant mon dessin, cela me plaisait de souscrire à ce pacte, et j’en fis la remarque à voix haute ; néanmoins, j’opposai ma signature en riant. » 



Dès cette révélation, il se voue entièrement au spiritisme et à ses expériences occultes, qu’il relate en 1907 dans un livre publié à compte d’auteur, « Critique des mystères de l’univers ». On y apprend que plusieurs races d’esprits graviteront autour de lui, des Esprits constructeurs, géants, aériens, ou d’amour. Tous ne seront pas bienveillants, le persécutant même jusqu’à essayer de le pousser au suicide. Tentation à laquelle il résista puisqu’il mourut de sa belle mort en 1920.


samedi 21 mai 2011

MADGE GILL


L'ampleur de son oeuvre place Madge Gill parmi les plus emblématiques créateurs d'Art brut et médiumnique.

Née enfant illégitime à East Ham (Londres) en 1882, elle est cachée par sa tante et sa mère jusqu'à ses 9 ans, où elle est alors placée en orphelinat. Après un séjour au Canada, à Ontario où elle travaille dans une ferme comme servante, puis  revient à Londres à 19 ans, où elle sera infirmière. Habitant avec sa tante, cette dernière l'initie à l'Astrologie et surtout au Spiritisme, en ces moments d’après guerre où les familles éprouvaient le besoin de communiquer avec leurs morts.  En 1907, à 25 ans, elle épouse son cousin Thomas Edwin Gill avec qui elle aura trois fils. Elle perd le deuxième, Reginald, victime de la grippe espagnole. L’année suivante, elle met au monde une petite fille mort-née, ce qui manque de l'emporter elle aussi : elle reste alitée plusieurs mois et perd l'usage de son oeil gauche. Hantée par cette perte, son guide, du nom de “Myrninerest” (l’historien d’art, Roger Cardinal, suppose que ce mot signifie « mine innerest self », mon moi profond), la guide, lui inspire écrits, discours, broderies (l'un de ses chefs-d'oeuvre est une robe, que l'on peut voir à la Collection de l'art brut de Lausanne) et improvisations pianistiques qui l'occupent dès lors toute sa vie. 
 
 Travaillant la nuit, à la bougie, de manière quasiment hallucinée, au crayon noir (avec quelques rares écarts à l’encre de couleur), elle réalise des milliers de dessins, de la carte postale à de grands draps dont certains dépassent onze mètres. Elle est l’unique sujet de ses représentations. Madge Gill, comme la plupart des femmes de l’art brut, privilégie la représentation féminine. Aucune figure d’homme n’apparaît dans son œuvre : dans un de ses calicots, on compte jusqu’à une centaine de visages féminins gravissant autour d’une croix couronnée d’un halo et qui semble se situer dans un cimetière. 

Touffue et dense, faite de traits fluides et larges qui révèlent une vitesse d’exécution, l’œuvre entière porte vers l’au-delà. Les figures elles-mêmes regardent droit devant, avec de grands yeux ouverts: ce regard frontal, contrairement à celui des portraits classiques qui cherche  le nôtre, semble dû à la nécessité de se confronter à l’infini.  Les mains sont quelquefois suggérées, tout comme le corps enveloppé dans une vaste robe fluide qui est elle-même absorbée dans un espace composé de fragments d’architectures et de formes géométriques. Ses dessins qui oscillent entre figuration et abstraction exercent une complète fascination. Chétives, mélancoliques, peureuses pour la plupart, les personnages ont néanmoins quelquefois des allures plutôt hautaines, voire triomphantes. Prises dans de vertigineux réseaux ornementaux, tout en paraphes déliés et échiquiers obsessionnels, ces figures blanches sont comme la ponctuation ahurie d'une flamboyante calligraphie, un message sans fin. 

 
Obsédée par sa propre image ou celle de sa fille perdue, elle ne montre de son corps que des visages éternellement répétés. Les escaliers, damiers, couloirs sont un système sécuritaire qui à la fois nous empêche de nous en approcher et en même temps nous attire tel un piège. Comme si les beaux visages de Madge Gill étaient là pour nous séduire, nous attirer, pour mieux nous capturer dans les mailles de ses filets.  En retrouvant la santé, elle se plonge dans une oeuvre médiumnique remarquable, qu'elle va poursuivre les 40 années suivantes. En 1958, à la suite de la mort de son premier fils, elle se met à boire, cesse totalement de dessiner et se laisse glisser vers la fin. Ayant toujours refusé de vendre ses œuvres, ce n’est qu’après sa mort, en 1961, que l'on découvre l'ampleur de son travail : des centaines de dessins empilés dans des placards ou sous les lits.