jeudi 19 mai 2011

SERAPHINE DE SENLIS


SERAPHINE DE SENLIS, LA FEMME QUI PARLE AUX ARBRES, AUX ANGES, ET A LA SAINTE VIERGE
Séraphine a vu le jour la même année que Camille Claudel. Tout comme elle, ses dernières années furent vécues dans un asile psychiatrique, où elle décèdera, à 78 ans, le 11 décembre 1942, dans l'annexe de l'hôpital à Villers-sous-Erquery, dans le dénuement et les dures conditions des asiles sous l'occupation allemande, assommée par des doses massives de tranquillisants et les privations de nourriture. Elle fut inhumée dans une fosse commune.

Séraphine Louis est née à Arsy le 3 septembre 1864. Son père est horloger et sa mère fait des ménages. Elle perd sa mère le jour de son premier anniversaire, et son père, remarié, meurt alors qu'elle n'a pas tout à fait sept ans. Elle est alors recueillie par sa sœur aînée. Tout enfant, elle commence à dessiner sur des pages de cahier, des morceaux de carton. A 18 ans, elle entre chez les sœurs de  Saint Joseph. Elle y restera vingt ans. Elle ne fut jamais religieuse et ne prononça point de voeux. Durant  ces années, de 1882 à 1900, Séraphine s'occupe essentiellement de travaux de ménage. Ce sont des années d'une vie cachée, laborieuse et méditative.

Mais en 1902, Séraphine quitte le couvent et travaille comme femme de ménage dans les familles bourgeoises de Senlis. A 42 ans, elle se retrouve enfin indépendante, ayant un tout petit logement d'une pièce pour elle seule, meublé avec une extrême pauvreté. Alors qu'elle se trouve dans la cathédrale, son "bon ange" lui apparaît et lui ordonne: "Séraphine, écoute-moi. Il faut te mettre au dessin." Mais Séraphine ne connaît rien de cet art. Alors, elle s'exerce toute seule, sans maître, et bientôt elle achète quelques tubes, un pinceau, et se met à l'aquarelle. Peignant à la bougie dans un grand isolement, elle accomplit une œuvre considérable. En 1912, Séraphine, qui depuis plusieurs années s'est mise à peindre les objets les plus divers (petits pots de terre, assiettes, boîtes de carton, statuettes religieuses, chaises, tables, etc.), rencontre le collectionneur d'art, Wilhelm Uhde, installé à Senlis, amateur d’art, ami de Kahnweiler, découvreur de Picasso et du Douanier Rousseau, érudit raffiné chez qui, miracle du hasard, Séraphine Louis fut chargée de faire le ménage, deux ans avant la Grande Guerre. Il découvre ses peintures et lui apporte son soutien. Il va protéger, encourager Séraphine qui, plus que jamais, enfermée dans sa petite chambre, travaille inlassablement.

Elle peint jour et nuit ses "Arbres de Paradis". Wilheim Uhde disait d'elle: "Séraphine savait très exactement pourquoi et comment elle avait peint telle chose de telle couleur, disposé tel élément de telle façon, établi telle harmonie." Uhde l'emmenait en pique-nique en forêt et le spectacle de la nature, des oiseaux et des fleurs l'enivrait. Elle s'adressait directement aux puissances qui l'environnaient: "A tous ces êtres, autour d'elle, elle tenait de longs discours ravissants et je ne me lassais pas de l'écouter" disait Anne-Marie Uhde. Mais Wilheim Uhde est obligé de quitter la France en août 1914, et il ne reprend contact avec Séraphine qu'en 1927, à l'occasion d'une exposition locale à Senlis. Son aide, alors, permet à Séraphine de peindre de grandes toiles de deux mètres de hauteur. En 1929, Uhde organise une exposition "Les peintres du Cœur sacré", qui permet à Séraphine d'accéder à une certaine prospérité financière qu'elle dilapide au fur et à mesure. Or, à partir de 1930, Uhde cesse d'acheter ses peintures à cause de la Grande Dépression, ce qui la perturbe gravement. Le 31 janvier 1932, elle va déposer la plus grande partie des objets qui se trouvent dans sa chambre devant le kiosque à musique qui orne la grande promenade de Senlis. Pour Séraphine cet acte constitue une rupture. Elle sombre dans la folie, et on l'interne pour « psychose chronique » le 31 janvier 1932 à  l'hôpital psychiatrique de Clermont où elle restera dix ans, sans jamais vouloir reprendre les pinceaux. Elle disait: "Tout est terminé maintenant." Pendant ce temps, ses oeuvres étaient exposées à Paris, suscitant l'admiration et l'étonnement.


Sa technique toute particulière, consistait en l'utilisation de peinture Ripolin qu'elle mélangeait avec de l'huile d'éclairage volée dans les églises, de la terre de cimetière, et de son sang provenant de blessures qu'elle se faisait pour donner plus de vie à ses tableaux. En ce qui concerne les pigments et les couleurs, elle n'a jamais dévoilé son modus operandi. Ce qui est tout à fait extraordinaire, c'est que sa matière picturale tient remarquablement bien et ne pose que peu de soucis de conservation. Ses peintures ont un aspect mat, presque ciré. Parfois, la signature est gravée au couteau, révélant une sous-couche de couleur contrastée. Il semble qu'elle signait ses peintures avant de les peindre. On peut remarquer que les peintures comportent presque toutes, dans le quart inférieur, une bande ou une zone qui est manifestement d'un autre ordre que le reste de l'image : les fruits et fleurs continuent à s'épanouir dans cette région particulière de la peinture, mais d'autres éléments (herbes, feuilles plus sombres que dans le reste du tableau) invitent à imaginer cet espace spécifique comme une sorte de sous-bassement, de souterrain où tout s'enracine, de monde d'en-bas. Le besoin irrépressible de création fait de Séraphine, pour reprendre les termes de Bertrand Lorquin, conservateur du musée Maillol, une artiste dévorée par « cette fameuse nécessité intérieure dont parlait Kandinsky ».


"Qui se souvient encore de Séraphine Louis, dite Séraphine de Senlis née au village d'Arcy, dans l'Oise le 2 septembre 1864 et morte le 11 décembre 1942, à l'asile psychiatrique de Clermont-de-l'Oise, puis enterrée à la fosse commune ? Qui se souvient de cette vie cachée, de ce destin prodigieux qui fit d'une humble femme de ménage, un des plus stupéfiants peintres hallucinés du XXe siècle, rarement exposée aux cimaises des plus grands musées du monde qui pourtant la conservent dans leurs réserves ?
Par quel étrange destin, est-elle rayée du monde, oubliée des histoires de l'art, comme si le passage par la démence avait tout brûlé derrière elle, ou bien comme si l'exposition de ses tableaux risquait de provoquer un incendie ? Que dire de ses délires qu'elle a retranscrits dans sa solitude d'internée, de son silence obstiné à l'égard des autres malades, de son refus de peindre, à jamais ? Que penser de cette peinture incomparable, complètement inédite, venue de quelles secrètes contrées d'âme, remontées de quels gouffres obscurs ? Quelles forces l'ont conduite pour réaliser ces vastes compositions florales et à qui étaient-elles dédiées ? Que serait-elle devenue si elle n'avait rencontré un jour un des plus fameux esthète de son siècle, Wilhelm Uhde, qui la guida et la protégea jusqu'à ce que la folie s'emparât d'elle ? Que seraient devenus ces petits tableaux qu'elle exécutait et échangeait contre de la nourriture ? Auraient-ils connu le même destin que ceux qu'elle composa plus tard, vastes et puissants, pourchassés au nom de l'art dégénéré, par les nazis ? Quelle tendresse et quels émerveillements se cachent derrière ce visage fruste et rustique ? Quel est le secret de ces mains, lourdes et épaisses, qui ont tant ciré de parquets et frotté de linge dans les lavoirs glacés, capables cependant d'inventer de telles fleurs ? Quels appels confie-t-elle à ses bouquets ? Que veut-elle nous dire, elle qui ne sait pas bien s'exprimer ? Et si la folie de Séraphine, qui l'a plongée dans la nuit la plus totale, dans l'absence du jugement, avait été le passage obligé à l'avènement de ses chefs-d'œuvre ? Et s'il avait fallu traverser tant de douleurs pour atteindre au secret ? "
Alain Vircondelet
Séraphine de la peinture à la folie
Albin Michel








2 commentaires:

  1. émouvant !!! j'ai vu le film et maintenant là je découvre

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  2. Je suis heureuse que vous trouviez ici de quoi vous intéresser. Bonne soirée à vous

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