« Jamais personne ne me parut comme elle intraitable et pure, ni plus décidément souveraine. » Georges Bataille.
Colette Peignot est née le 8 octobre 1903 à Meudon. Elle est surnommée Laure, pseudonyme choisi par Georges Bataille, mais est également connue sous le nom de plume Claude Araxe. Elle laisse derrière elle une série de manuscrits poétiques, enflammés et torturés, dont la fameuse "Histoire d'une petite fille" (1943).
Issue d’une famille d'industriels, de la grande bourgeoisie catholique française, elle est très affectée par la mort de son père, Georges Peignot, illustre fondeur de caractères, qui a donné ses lettres de noblesse à la typographie française au sein de la Fonderie Deberny et Peignot, et de ses trois oncles morts pendant la Première Guerre Mondiale. Fâchée avec une mère sévère (qui avait préféré croire la parole d'un prêtre abuseur plutôt que la sienne), elle a vécu une vie en rupture de ban. De santé fragile, constamment sous médication, elle frôle la mort en 1917. Atteinte aux poumons, elle conservera cette santé fragile durant de longues périodes de son existence. En 1926, Colette Peignot croise la route de Jean Bernier, journaliste, et fréquente alors les milieux intellectuels et artistiques grâce à son frère Charles, fondateur des Nouvelles littéraires et d’Arts et métiers graphiques. Cette rencontre amena la jeune femme à se radicaliser et à politiser sa révolte contre son milieu familial. Elle fut également la compagne de Boris Souvarine quelques années plus tard, puis celle de Georges Bataille jusqu’à sa mort prématurée en 1938. Sa relation "intense" avec Georges Bataille, alimentée par les perversions de ce dernier, se révéla destructrice. Colette Peignot vécut le plus souvent seule. Elle fut l’égérie de l’extrême gauche de l’entre-deux-guerres. Ses textes sont de différentes natures : poèmes, récits autobiographiques, journal, critique politique, convictions mystiques, reposant sur un souci de vérité de communication. Elle aida financièrement Souvarine, Leiris et Bataille à fonder diverses revues littéraires et poétiques. Elle travaille même au courrier des lecteurs du Journal de Mickey. Ce n'est que quelque trente ans plus tard que paraissent enfin les "Écrits de Laure", chez Jean-Jacques Pauvert, dans la collection «Change errant». Cette édition est l'aboutissement d'une longue querelle opposant dans un climat passionnel les tenants de la législation sur l'héritage de la propriété littéraire, du droit moral, voire du droit de la censure, en l'occurrence, Charles Peignot, le frère et un certain nombre d'écrivains (et non des moindres dont Simone de Beauvoir, Marguerite Duras, Edmond Jabès, Hélène Cixous, Michel Foucault, etc.) jugeant cette mesure répressive et inacceptable, et se déclarant solidaires de l'édition sauvage des Écrits...La critique unanime salue avec ferveur les « Écrits de Laure » que Michel Leiris, l'ami et le gardien de la mémoire, considère comme un «être dont ceux qui l'ont approché n'ignorent pas combien inentamable était son exigence de hauteur et violente sa rébellion contre les normes à quoi souscrivent la plupart».Ce n'est que récemment que les lettres-textes formant le contenu du présent volume "Laure, une rupture" ont été retrouvées. Elles datent de 1934, année charnière dans la vie de Laure, qui s'apprête à quitter Boris Souvarine, fondateur de La Critique sociale, pour rejoindre Georges Bataille... Laure, pour l'état civil Colette Peignot, disparaît le 7 novembre 1938 à Saint-Germain-en-Laye. L'année suivante, Michel Leiris et Georges Bataille publient hors commerce, à quelque deux cents exemplaires, les "Écrits de Laure". Ses œuvres ont été publiées de manière posthume, contre la volonté de son frère, Charles Peignot, par son neveu, le poète Jérôme Peignot (pour qui elle aura été une « mère diagonale »).Elle finit sa vie dans une indigence complète, médicamentée à l'extrême, et meurt à trente-cinq ans de la tuberculose, dans une chambre triste et austère chez Georges Bataille.
Laure : Ecrits, fragments, lettres de Colette PEIGNOT
… Je n’habitais pas la vie mais la mort.
Aussi loin que je me souvienne
les cadavres se dressaient tout droit devant moi :
« Tu as beau te détourner, te cacher, renier…
Tu es bien de la famille et tu seras des nôtres ce soir.
Ils discouraient, tendres et sardoniques,
ou bien
À l’image de ce christ, l’éternel humilié,
l’insane bourreau,
ils me tendaient les bras.
De l’occident à l’orient
de pays en pays
de ville en ville
je marchais entre les tombes.
Bientôt le sol me manqua.
Qu’il fût herbu ou pavé,
je flottais,
suspendue entre ciel et terre,
entre plafond et plancher.
Mes yeux, douloureux et renversés,
présentaient au monde leurs lobes fibreux,
mes mains, crochets et mutilés,
transportaient un héritage insensé.
Je chevauchais les nuages
avec des airs de folle échevelée
ou de mendiante d’amitié.
Me sentant quelque peu monstre,
je ne reconnaissais plus les humains
que pourtant j’aimais bien.
On me vit atterrir
au ciel de Diorama
où glacée jusqu’aux os
je me pétrifiai lentement
jusqu’à devenir
un parfait accessoire de décor.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire