Jano Pesset a découvert Picasso et Dubuffet dans les années soixante à Paris. Pour être artiste indépendant, il est devenu magasinier jusqu’à l’âge de la retraite : « Je travaille pour gagner ma vie, je crée pour ne pas la perdre» explique- t-il. Beaucoup de ses sculptures en bois de lierre et de noisetier sont aujourd’hui réunies au musée de La Fabuloserie dans l’Yonne. Comme bien d’autres « bricoleurs » de génie.
Extrait de « l’Oeuf Sauvage »- n°9 - automne 1994- article de Claude Roffat
Jano Pesset est né à Saintes, en 1936, dans une modeste famille d’employés. A la déclaration de la guerre, il est envoyé chez sa grand-mère maternelle, dans un petit village de l’Ariège. Ces quelques années passées à la campagne, mêlées à la vie domestique et aux travaux des champs, le marqueront durablement. Il vit là une enfance heureuse, découvre la nature et la liberté. Mais surtout, en ramassant des branchages, il fait une étrange trouvaille. Il remarque que l’un des bois, à son extrémité, par la configuration des nervures et bourgeons évoque une forme animale. Cette découverte l’enchante. Il n’a de cesse de découvrir d’autres visages, d’autres corps. Mais la nature n’est pas si généreuse, elle donne des signes, pas la récolte. Alors Jano parcourt inlassablement la campagne avec son Opinel, il accentue les formes suggérées, sculpte des visages entrevus. Comment pourrait-il savoir qu’il reviendra sur ces mêmes chemins de nombreuses années plus tard, parvenu à l’âge d’homme, à la recherche de ces bois de rêve qui, d’une si singulière façon, auront guidé sa vie. Mais l’adulte, alors, aura rejoint l’enfant.
A Bordeaux, le jeune Pesset passe son certificat d’études, puis son C.A.P. d’ajusteur. Il commence aussi à peindre mais sans connaissance ni des techniques ni de l’histoire. Et sans originalité. Il veut faire beau, mais ses modèles ne dépassent pas l’imagerie des calendriers des postes. Il peint alors sur du velours, des natures mortes ou des têtes de chevaux. Il remplace alors le velours par du carton et compose des scènes paysannes, résurgences de ses années ariégeoises. Après son service militaire, en 1957, Jano « monte » à Paris, espérant trouver plus facilement du travail. A Paris, il découvre les galeries, il achète Arts, qu’il ne comprend pas toujours, mais c’est une révélation. Ce que Jano découvre, c’est que la peinture ne recouvre plus la réalité. On peut peindre sans modèle. A la réalité extérieure, le peintre oppose son monde intérieur. Si on peint sur le vif, c’est avec ses tripes. Jano est stupéfait. Il parcourt les galeries, les musées, veut tout voir, voudrait tout comprendre. Des dessins gouachés d’un tout petit format captivent son attention. Jamais il n’aurait pensé que l’on puisse faire si petit, si précis, sans que rien puisse être jamais identifiable. Jano ne le sait pas, mais il vient de découvrir un grand artiste, mort prématurément quelques mois plus tôt : Wols.
Il découvre la joie de la création, la liberté sans limite de l’artiste. La peinture n’est plus une affaire sérieuse – sinon sérieuse comme le plaisir -, ou pas seulement. Il ne s’agit plus de faire beau, comme si longtemps Jano s’y est employé, ou de faire vrai, ni de se battre avec une idée, une école, un mouvement. Il faut s’amuser. L’enfance de Jano, en un instant, l’envahit (comme le rouge parfois colore les joues). Le Jano parisien, à trente ans, redécouvre le petit Jano ariégeois, avec ses collections de bouts de bois aux formes anthropomorphes ou animales. Ce bonheur-là retrouvé, il s’est instinctivement qu’il ne le laissera plus échapper.
Jano a déjà fait plusieurs petits boulots, il est encore ajusteur. Comment n’aurait-il pas songé aussi, comme tant d’autres, à faire son trou, à vivre – enfin – de sa peinture ! Mais, en quelques instants, tout à basculé. Et tout est devenu limpide. Jano sait qu’il n’a plus à chercher. Cette liberté entrevue le dégage des obsédantes questions : quel métier ? Quelle peinture ?
Il prend alors une décision : il ne fera pas carrière. Ni dans la vie, ni dans les arts. C’est un peu une leçon de courage et une dérobade. Aussi un grand moment de lucidité, car Jano sait qu’il n’est pas taillé pour la bagarre.
« Il vaut mieux se posséder soi-même que se faire dé-posséder par les autres », se plaît-il à répéter. Ne pas écraser autrui, mais ne pas se faire écraser. Dès lors, Jano Pesset n’aura d’autre but que de donner corps à ses rêves, sans aucun souci de reconnaissance ou de lucre.
Pour être « sécurisé socialement » Jano Pesset paiera son écot, mais pas plus. Il lui faut d’abord trouver un travail aussi peu aliénant que possible, plus question d’être ajusteur, huit heures par jour sur un tour. Il a déjà été emballeur, magasinier. Il le redeviendra et le restera toute sa vie. Mais pour Jano ce temps perdu est du temps de gagné. Car son esprit est ailleurs. Faire du rangement, balayer, rien de tel pour laisser vagabonder ses idées. Son œuvre mûrira ainsi, entre réserves et entrepôts, avant de se réaliser, le soir venu, dans la fièvre des retours à la maison. Mais il lui faut un atelier. Et Jano rêve d’un abri, d’un refuge où se fondre. Sans doute songe-t-il aussi à cet arbre mort, au tronc évidé, devant lequel il passait chaque jour quand, enfant, il gardait les vaches. Les jours de pluie, il se réfugiait à l’intérieur. Pendant des heures, les yeux fixés sur le bois, « comme une fourmi », il se baladait dans l’écorce.
Jano Pesset habite maintenant la vallée de Chevreuse. Il a aménagé le sous-sol de sa maison en atelier et fréquente moins les galeries…
un bisous d'andré Dubuc et à ta femme (ORGIBET 09)
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